Pluie à Gogos ?

 

Auteur : René NOMMER 

Site web : www.theatrarire.fr

 

Pièce de théâtre de René Nommer

Deux actes, un décor

Durée: 80 minutes

Personnages : (  5 ou 4 hommes, 4 ou 5 femmes.)

 

JULES MÉDARD inventeur génial, désargenté, philosophe, et assez facétieux.

(175 répliques)

 

GASTON clerc, souffre-douleur de Me Videtou, se venge à sa façon. (78)

 

Me VIDETOU huissier, un peu hautain, dur avec le personnel et avec ses clients. (25)

 

CRESSON voisine avec jardin, un peu râleuse, aime qu’on lui fasse la pluie et le beau temps. (29)

 

Mme Mentalot Alisette restauratrice voudrait toujours du beau temps, mais sans payer. (38)

 

Chantal MEDARD femme de Jules. (33)

 

CAROLINE fille de Jules. (52)

 

El FAYAD émir de Qatuor. (12)

 

M.FROMENT Germain, céréalier. (24)

 

Marie CLAMPIN commerce extérieur. (21)

 

Certains rôles peuvent être tenus en double, Froment et El Fayad ou Maître Videtou, Désirée CRESSON et Marie Clampin.

 

Scénario

Pluie à gogos est une pièce d'environ 01h20 qui se joue avec un seul décor. Elle peut être jouée par 6,5 ou 4 hommes et par 5 ou 4 femmes. C'est l'histoire d'un inventeur génial Jules Médard qui a créé une machine à faire du beau temps ou de la pluie. Cette invention lui a coûté toutes ses économies, sa femme l'a quittée en claquant la porte et sa fille fait une crise de nerfs parce qu'elle s'est fâchée avec son copain. Comble de malchance il n'arrive pas à vendre son invention, ses seuls clients sont des voisines ce qui ne lui rapportent rien. Pour couronner le tout il est menacé d'expulsion pour facture impayée. L'histoire commence là.

 

DECORS :La pièce est meublée assez simplement, avec dans un coin une étagère où une armoire ouverte qui laisse échapper un tas d’objet hétéroclites, suggérant l’atelier d’un inventeur plutôt bricoleur. Sur le mur un tableau avec des cadrans , des manettes et des instruments. Un bureau avec une pile de dossiers un peu bric à brac. Dans un coin un escabeau près d’une lucarne, de laquelle Jules peut observer la rue et voir les éventuels visiteurs.

Jules, cherche un moyen pour éviter la saisie.

La scène commence dans l’appartement de Jules. Il tourne en rond, et soliloque.

 

 

JULES - Il faut que je trouve un moyen pour empêcher cette saisie, avec la porte fermée ils ne pourront rien me saisir.( En parlant il grimpe sur l’escabeau, pour observer la rue) Voyons voir, qui vient par là, oh ! Un homme en noir, c’est l’huissier, il s’arrête, non il repart, fausse alerte. ( Il redescend ) C’est pas une vie, ma femme qui se sauve sous prétexte que je suis fou, ma fille avec son chagrin d’amour, et moi avec un huissier sur le dos, on peut dire que je suis verni, et dire qu’il suffirait de trouver un investisseur pour s’intéresser à mon invention et fini mes soucis, ma femme revient, ma fille se console et moi je peux continuer mes recherches. J’ai déjà enlevé mon nom sur la porte, j’ai changé le numéro, mais il paraît que les huissiers sont terriblement accrocheurs. C’est mon ami Gilbert qui m’a dit ça, il s’est déjà fait saisir trois fois, il a de l’expérience.( Il regrimpe sur l’escabeau pour inspecter la rue.) Voyons voir, oh ! Il y a une voiture qui s’arrête, une Mercédès, je crois que c’est l’huissier, aïe ! Il se dirige vers ici, je vais mettre en route le plan numéro deux.

 

Il descend de l’escabeau , et va revêtir un costume de chinois préparé pour l’occasion, une fausse barbe en pointe, un bonnet avec une petite queue de cheval, une robe qui descend très bas, et une ceinture en tissu il soliloque pendant ce temps.

 

Avec le faux numéro sur la porte, pas de nom, cet accoutrement , je vais peut-être berner mon ami l’huissier. (Il se tourne vers les spectateurs.) Comme on dit en Chine, aide-toi le ciel t’aidea . ( On sonne à la porte.)

C’est l’hissier, on va le laisser langui. (Les sonneries redoublent .) Ils sont pessé ces euopéens, mais nous les asiatiques sommes infiniment patients, hi hi hi hi ! Je vais quand même ouvri la porté avant qu’ils ne l’enfoncent. (Il va tourner la clé et va s’asseoir sur un tapis disposé de telle façon qu’on le voit de profil, il prend une position de méditation. On entend un bruit de clef, puis une voix off.) Il n’y a pas besoin de forcer la porte, elle est ouverte. ( Entrée de M° Videtou assez martiale, il s’avance jusqu’au milieu de la pièce, il n’a pas vu Jules assis sur son tapis.)

 

Me VIDETOU - Il n’y a personne ici ?

 

 Derrière lui, il y a son clerc.  

 

GASTON - Il y a quelqu’un là. (Et il désigne Jules assis toujours en méditation.)

 

Me VIDETOU (arrogant)  - Monsieur, j’ai une ordonnance pour saisir votre mobilier, en vertu d’une décision de justice pour facture impayée sur réquisition de la société Larépor.

 

Jules a relevé son buste et fait une grande inclinaison.

 

JULES - Qui que vous soyi, vous êtes li bienvenus dans ma modeste demeue.

 

Me VIDETOU - Je voudrais parler à Monsieur Médard Jules.

 

JULES - Honoable visiteur, vous ites dans la demeue de votre aimable serviteur, At chou mer ci, de Honkong.

 

Me VIDETOU - Mais je suis bien ici au 33c, de la rue Varennes ?

 

JULES - Sans vouloir contredie mon aimable visiteur, il est ici au 33b de la rue Varennes, dans l’humble demeure de son serviteur Atchoumerci de Hongkong.

 

Me VIDETOU - Mais monsieur Médard ?

 

JULES - Votre serviteur ne connît pas cette personne, alors si vous voulez bien m’excuser, je vais pousuive ma miditation inteompue par votre visite. ( Jules reprend sa position la tête sur la poitrine.)

 

Me VIDETOU - Mais monsieur ? ( Il se retourne vers son clerc.) Dites-voir, cette adresse, c’est vous qui l’avez inscrite quand même ?

 

GASTON - Oui, monsieur, je l’ai fait personnellement et avec mon soin habituel.

 

Me VIDETOU - Cela n’était pas aussi soigneux, puisqu’elle est fausse !

 

GASTON – Impossible, cela ne m’est jamais arrivé !

 

Me VIDETOU- On va vérifier, si vous vous êtes trompé, ce sera à vos frais !

 

GASTON - Oui, monsieur.

 

Me VIDETOU - Monsieur, euh ! Atchou , je m’excuse pour cette intrusion.( Jules ne bouge pas. ) Au revoir monsieur.

 

Ils sortent, le clerc en dernier qui fait une horrible grimace dans le dos de son chef. La porte fermée, Jules se lève, va refermer à clé, puis remonte sur son perchoir, et regarde dans la rue.

 

JULES - Oh là là ! Ils s’engueulent, le pauvre clerc en prend plein les oreilles, ils regardent le numéro, ça s’agite, ils vont à la voiture, ils s’en vont, youpi ! C’est gagné pour le moment, la prochaine fois il va falloir trouver autre chose. ( Il redescend de son perchoir, quand on sonne à la porte.) Ce n’est quand même pas encore l’huissier. ( Il va tourner la clé et retourne s’asseoir.) Entez c’est ouvert. ( C’est le clerc, qui revient.)

 

GASTON - Excusez-moi, c’est Maître Videtou qui m’envoie vous demander, depuis quand louez-vous cet appartement ?

 

JULES - Vous mi toublez encore dans ma méditation, dites à votre mître que je suis ici depuis envion 20 lunes.

 

GASTON - 20 lunes ?

 

JULES - Oui, 20 lunes, ji parle fançais tout de même !

 

GASTON - 20 lunes, quand je vais dire ça à maître Videtou, il va exploser !

 

JULES - Gand bien lui fasse, et maintenant si vous pouvi me laisser à ma méditation.

 

GASTON - Bien sûr monsieur Médard, tout de suite.

 

JULES (en aparté.) - Il m’a reconnu ce clerc (haut) je cois que vous fites erreur, honoable clerc, au revoi.

 

GASTON - Je vous ai reconnu tout de suite, monsieur Médard, j’ai déjà assisté à une de vos conférences, vous savez, faire la pluie et le beau temps, mais ne craignez rien, je n’en dirais pas un mot à maître Videtou, vous pouvez compter sur moi.

 

JULES - C’est bien gentil de votre part, cher monsieur, j’ai quelques difficultés financières en ce moment, mais ne risquez pas votre place pour moi..

 

GASTON - Non, je me venge pour toutes les brimades que je subis, au revoir, et à bientôt.

 

Il s’en va, Jules reprend la position sur son perchoir et observe la sortie.

 

JULES - Il y a encore des gens compréhensifs sur terre. Je vois l’huissier qui trépigne, le clerc doit lui dire pour les lunes, et voilà le clerc qui se fait encore engueuler, si je crée ma société j’embauche ce gars, c’est sûr. ( Il redescend, enlève ses habits chinois, sa barbe, quand on sonne à la porte.) Encore un emmerdeur, (Il regrimpe sur l’escabeau.) Ouf ! La voiture est reparti, c’est madame Cresson, qu’est-ce qu’elle me veut encore, de la pluie ou du beau temps ? ( Il va ouvrir.) Bonjour madame Cresson, quel bon vent vous amène ?

 

CRESSON - Bonjour monsieur Médard, je viens vous demander de l’aide pour mon jardin, il a absolument besoin de pluie, alors si vous pouvez faire quelque chose, une bonne petite rincée, mes salades vous diront merci.

 

JULES - Mais vous m’avez déjà demandé une pluie la semaine dernière, il me semble ?

 

CRESSON - Oui, c’était pour les choux, et cette fois-ci c’est pour les laitues.

 

JULES - Et la semaine prochaine ce sera pour les tomates je suppose ? Vous savez que normalement on ne doit pas toucher au temps.

 

CRESSON - Mais votre invention elle sert à quoi alors ?

 

JULES - Uniquement pour les cas d’urgences.

 

CRESSON - Mes salades c’est très urgent, je n’arrive plus à transporter les seaux d’eau comme dans le temps , alors entre voisins il faut s’entraider, n’est-ce pas monsieur Médard ?

 

JULES - Ouais, c’est bien parce que c’est vous madame Cresson.

 

CRESSON - Je peux compter dessus pour quelle heure ?

 

JULES - Un quart d'heure ça va ?

 

CRESSON - Merci beaucoup, je me dépêche de rentrer, pour ne pas être mouillée.

 

JULES - C’est cela, au revoir madame Cresson.

 

Elle est sortie, il s’approche d’un tableau accroché au mur où il y a plusieurs cadrans, il tourne un ou deux boutons, et règle un réveil.

  

Et voilà c’est parti, la pluie à domicile, et dire que je ne trouve pas une personne intéressée pour développer mon invention.(On attend dehors un bruit de forte averse, et même des coups de tonnerre, Médard se rapproche de ses cadrans.) Zut , un orage, ce n'est pas moi, celui-là est naturel, mais il y en encore qui ne vont pas être contents, d’ailleurs contenter tout le monde, c’est impossible. (On frappe à la porte.) Et voilà les premières réclamations ! (Il ouvre, c’est madame Alisette Mentalot qui tient un restaurant dans la rue avec un parapluie.)

 

MENTALOT- Bonjour, j’avais ma terrasse pleine de monde, 25 clients, et puis ce stupide orage, et vlan ! tout le monde est parti, mon chiffre d’affaire va en prendre un coup, on m'a dit que vous commandiez au temps. Vous ne pourriez pas me refaire un peu de beau temps, monsieur Médard ?

 

JULES - Madame Mentalot je crois, du restaurant La Belle Flambée, c'est un plaisir de vous voir. Ma réputation est surfaite, je ne commande pas au temps, mais vous avez un problème?

 

MENTALOT - Un gros problème mais appelez-moi Alisette. Comme il n’est que 4 heures, vous pouvez bien me refaire un petit coup de beau temps ?

 

JULES - Alisette? un beau prénom. Alors vous voulez un petit coup de beau temps? Mais dites-moi, c'est une déformation professionnelle?

 

MENTALOT - Je ne comprends pas.

 

JULES -   Vous parlez d'un petit coup, on vient surtout chez vous pour boire un petit coup.

 

Jules s'est mis devant son tableau et commence à tourner des boutons.

MENTALOT - Ah c'est drôle! Vous me plaisez, je peux vous appeler Jules?

 

JULES - Si cela vous fait plaisir, Alisette, je n'y vois pas d'inconvénient.

 

Jules a grimpé sur son escabeau et regarde au dehors. Il voit que le beau temps est revenu.

 

MENTALOT - Très plaisir, entre voisins on devrait se voir plus souvent, resserrez les liens de voisinage, vous voyez ce que je veux dire?

 

JULES (est redescendu )- Je vois très bien, Alisette. ( avec un ton professionnel)

Voilà, j'ai paramétré tous les éléments nécessaires pour rétablir les conditions climatiques optimales pour vous permettre de réinstaller votre terrasse et accueillir vos clients. Par contre le séchage des chaises n'est pas prévu.

 

MENTALOT - Le séchage? Ha,ha ha ! De plus en plus drôle. Mais comme vous parlez bien, on voit que vous êtes un savant.

 

JULES -   Vous me flattez. Mais dites-moi, vos parents étaient aussi dans la restauration ?

 

MENTALOT - Oui, Ils ont d'ailleurs choisi mon prénom en rapport.

 

JULES -   Laissez-moi deviner, Alisette anisette?

 

MENTALOT - Tout juste, c'était l'époque des anisettes.

 

JULES -   Vous l'avez échappé belle, Anisette c'était pas mal non plus.

 

MENTALOT - Vous êtes d'un drôle vous!

 

Entrée précipitée de Madame Cresson.

 

CRESSON - Oh ! Mais ça alors ! Quelle catastrophe, mais qu’est-ce que vous avez fait, il y a eu un gros orage, l’eau a tout emporté, mes belles salades noyées, mes tomates rincées, mes choux lessivés, ils sont partis, vous êtes méchant, vous l’avez sûrement fait exprès, et moi je ne vous avais demandé qu’une toute petite pluie, bien sage, un arrosage quoi !

 

MENTALOT - Alors madame, si je comprends bien c’est à cause de vous cet orage, j’avais 25 clients en terrasse, ils consommaient, buvaient, et à cause de vous tous partis, je vais vous demander des dommages et intérêts, j’estime mon manque à gagner à 500€ pour le moins.

 

CRESSON - Ah! Mais je vous connais, vous dirigez le restaurant du coin, La Belle Flambée. Il faut me comprendre madame! Qui va me rembourser mes salades, mes choux , mes tomates, cela vaut plus que quelques malheureux clients, les clients ça va, ça revient, mais les salades ne reviennent plus, je ne m’en remettrai pas et mes salades non plus.

 

JULES ( En aparté ) - C'est encore pour ma pomme. Ca m’apprendra à vouloir rendre service ( tout haut )Tout doux mes chères voisines Il ne faut pas s’énerver comme cela, regardez (Il montre la fenêtre.) Le beau temps revient, les client vont revenir, les salades vont se redresser, il n’y a pas le feu , allez, serrez vous la main, je veux bien rendre service mais une à la fois.

 

MENTALOT - Jules a le chic pour noyer les problèmes, si j’ose dire, je vais voir si mes clients vont revenir, je reconnais que j’ai été un peu virulente tout à l’heure, aussi je vous invite à venir boire un verre à ma terrasse.

 

CRESSON – Je ne dis pas non, une petite menthe à l’eau me conviendrait très bien !

 

JULES - Une menthe à l’eau ? Tiens tiens, c’est une boisson de circonstance. Mais je ne peux vous accompagner, j’attends une visite importante mais merci pour votre invitation.

 

MENTALOT - Maintenant que nous avons fait connaissance, nous aurons l'occasion d'approfondir nos relations n'est-ce pas? Ce sera donc pour une autre fois, au revoir Jules, madame, à tout de suite. ( Elle sort. )

 

CRESSON – Au revoir madame, je vous laisse aussi monsieur Médard, mais j'ai entendu qu'elle vous appelait par votre prénom, elle fait preuve de familiarité.

 

JULES -   Dans la restauration, on est souvent familier.

 

CRESSON – Pour ma part je ne me le permettrais pas. Je retourne dans mon jardin, je vous ramènerai une de mes salades, quand elle aura poussé.

 

JULES -   Au revoir, mais j'ai un petit service à vous demander, si vous pouviez me ramener deux petites salades avec les racines.

 

CRESSON – Avec les racines, comme c'est curieux, vous les mettrez sur votre bureau?

 

JULES -   En quelque sorte oui, pour décorer, j'aime la nature.

 

CRESSON – D'accord je vous les dépose devant la porte. Il faudra les arroser.

 

JULES -   Comptez sur moi.

 

CRESSON – Au revoir, monsieur Jules, je suis contente de savoir que vous aimez la nature, cela nous rapproche. ( Elle sort. )

 

JULES - Au revoir, chère voisine. Mais je rêve, les voisines me font du gringue, elles me trouvent à leur goût. Elles sont gentilles, et je t'offre une salade, une menthe à l’eau, j’ai une affaire qui marche, les clients se bousculent mais il n’y a personne qui m’a proposé un kopeck pour mes services. ( Le téléphone sonne, Jules décroche.) Allô, à qui ais-je l’honneur de parler, monsieur Froment ? Vous êtes où ?

Devant chez moi ? Mais entrez donc cher monsieur, je termine une affaire urgente et je suis à vous. Les affaires reprennent, soyons commercial, ( il enfile une blouse blanche, on sonne, il ouvre c’est Froment.) Bonjour monsieur Froment, je vous en prie installez vous, que puis-je faire pour vous ?

 

FROMENT – Bonjour monsieur Médard, vous m’avez été recommandé par un de mes amis, Gaston, vous connaissez ?

 

JULES - A vrai dire..

 

FROMENT – Mais si, vous l’avez vu récemment, le clerc de notaire.

 

JULES - Le clerc….Oui, oui, un jeune homme très sympathique.

 

FROMENT – Gaston m’a dit que vous pouviez faire la pluie et le beau temps, c’est trop beau pour être vrai, mais si vous pouvez m’aider, je vous paierais en conséquence. Je suis céréalier.

 

JULES - Vous avez du blé ?

 

FROMENT – Si l’on peut dire, je sème des céréales dans mes champs.

 

JULES - Vous êtes paysan ?

 

FROMENT – En quelque sorte bien que le terme soit galvaudé aujourd’hui.

 

JULES - Ils sont où ?

 

FROMENT – Ils sont où qui ?

 

JULES - Vos champs bien sûr.

 

FROMENT – Mes champs, à Courtepaille, c’est le village à côté.

 

JULES - J’espère que votre champ est plus grand que le jardin de ma voisine qui fait un are.

 

FROMENT – N’ayez crainte, ce sont cinquante hectares de maïs d’un seul tenant à arroser en priorité.

 

JULES - Cinquante hectares, ah ! Quand même, c’est intéressant.

 

FROMENT – Le problème c’est qu’il faut éviter d’arroser la parcelle d’à coté, cent hectares de blé qui vont être fauchés incessamment.

 

JULES - Je ne peux pas vous garantir qu’il n’y ait pas de dommages collatéraux comme disent les militaires, mais je vais faire mon possible.

 

FROMENT – Il vaudrait mieux, pour votre travail je vous propose cent euros par hectare, et le double si la récolte dépasse cinquante quintaux l’hectare.

 

JULES - Je suis un peu perdu avec ces hectares et quintaux.

 

FROMENT – Pas grave, c’est cinq mille euros l’opération, doublée en cas de bonne récolte.

 

JULES ( Il se lève.) Dix mille euros ? Bien, bien ! Monsieur Froment, montrez-moi sur cette carte l’emplacement de vos champs. ( Le tél. sonne.) Excusez-moi, un instant, allô, a qui ais-je l’honneur de parler, Monsieur Ramdzane, délégué du Qatuor, oui pour un rendez-vous, cet après-midi, c’est confidentiel, combien ? Vous voulez me donner deux mille euros pour que j’accepte ce rendez-vous, c’est euh ! Inhabituel, vous transigez à cinq mille euros, euh ! Bon d’accord cinq mille, à quinze heure, à tout à l’heure, au revoir Monsieur …Ramdzane. Excusez-moi monsieur Froment, les affaires, les affaires.

 

FROMENT – J’espère que vous aurez le temps de vous occuper de mes cinquante hectares, ils sont situés ici à l’est de Courtepaille et le blé est à l’ouest. Vous m’avez impressionné pendant votre conversation que je n’ai pas pu m’empêcher d’écouter, vous dites heu ! Et votre interlocuteur fait plus que doubler la mise. Vous avez le sens des affaires, aussi vais-je doubler ma prime en cas de succès de l’opération,

( il lui tend une enveloppe.) Et mille euros tout de suite, pour sceller notre marché.

 

JULES ( Prend l’enveloppe et la met dans sa poche sans l’ouvrir)- Je vous prépare un contrat pour la transaction ?

 

FROMENT – Inutile, une poignée de main suffira, nous sommes entre gens de bonne compagnie. Bon il faut que je vous quitte, c’est quand la première pluie ?

 

JULES - Je m’y attelle tout de suite, il est onze heures, à midi ce sera fait, vous pouvez me rappeler et faire vos commentaires.

 

FROMENT – Ce fut un plaisir de traiter avec vous, à bientôt.( Il sort.)

 

JULES ( sort l’enveloppe de sa poche et compte les billets)- Youpi ! Quel renversement de situation, ce matin l’huissier, après l’ambassade du Qatuor ou je ne sais quoi et maintenant mille euros. J’ai intérêt à réussir ce coup là.

 

Il s’approche de son tableau, on sonne à la porte, dans l’euphorie il va ouvrir en oubliant les billets sur la table. C’est Chantal sa femme.

 

JULES - Tiens, une revenante, tu connais encore l’adresse. C’était bien les vacances ?

 

CHANTAL - Je passais dans le coin, et je me suis dis, si j’allais voir mon mari, on ne s’embrasse pas ? Et j'ai trouvé ces salades devant ta porte.

 

JULES – Des salades? Ah c'est Madame Cresson, donnes, je vais les mettre à la cuisine. ( Il sort. Chantal, restée seule s'approche du bureau et voit avec stupéfaction les billets étalés sur la table )

 

CHANTAL - Mais je rêve, hier il était fauché et aujourd'hui il nage dans les euros.

( Retour de Jules, Chantal s'éloigne du bureau. )

 

JULES - Alors ces vacances?

 

CHANTAL - Je n'étais pas en vacances, j'ai pris un peu de recul pour réfléchir.

 

JULES -   Pour réfléchir? Tu te rappelles en partant, en fait de bisous, j’ai reçu le vase de chine en pleine poire, j’en ai encore la marque là ! Les tessons sont dans la poubelle, je n’ai pas eu le temps de recoller les morceaux. C’est comme notre mariage, il est en ruine.

 

CHANTAL - J’étais un peu énervée, ça arrive, je m'excuse !

 

JULES - Mais que t’arrive t-il ? Ton guitariste a cassé une corde ? Tu es fauchée ?

 

CHANTAL – Quel guitariste ? Il n’a jamais existé. Au fait ça fait deux jours que je traîne dans le coin et j’ai vu un huissier à ta porte, je crois que tu as de gros ennuis et je voudrais t’aider à en sortir.

 

On sonne c’est l’envoyé du Qatuor avec une enveloppe de cinq mille euros, Jules passe dans le couloir.

 

ENVOYE - Off : Je voudrais voir monsieur Jules Médard, j’ai une enveloppe à lui remettre.

 

JULES - C’est moi, monsieur.

 

ENVOYE – Signez ici, monsieur, voilà au revoir.

 

JULES - Au revoir monsieur.

 

Il ferme la porte, et revient, l’enveloppe à la main. Pendant sa sortie, Chantal n'a pu s'empêcher d'aller revoir les billets étalés sur la table, elle se retire un brin trop tard quand Jules revient. Il joue à celui qui n'a rien vu.

 

JULES - Tu a vu un huissier toi ?

 

CHANTAL - Une Mercédès avec trois hommes, je reconnais les huissiers à cent mètres.

 

JULES - Et tu en as déduit que j’avais besoin de ton aide, subitement, après un mois d’absence.

 

CHANTAL - Oui, quand on est marié, c’est pour le pire et le meilleur.

 

JULES ( Ouvre l’enveloppe de laquelle on voit dépasser une liasse de billets.)- Tu as besoin de combien ?

 

CHANTAL (médusé) – Ce n’est pas ce que tu crois, je ne suis pas venue pour ça !

 

JULES - J'ai bien vu ton coup d'œil sur la table. Mille euros, te conviennent-ils ?

 

CHANTAL Jujus, je ne suis pas venu pour cela….

 

JULES - D’accord, deux mille euros et on n’en parle plus. Vois-tu, je suis extrêmement occupé en ce moment alors je n’ai pas de temps pour verser des larmes sur ce qui a été et ce qui ne sera plus. Tu prends ou je range ?

 

CHANTAL – Je les prends, j’en ai besoin, mais j’étais venu pour qu’on se réconcilie.

 

JULES - Je te signale qu’on est à la troisième réconciliation, alors je t’invite à partir, je suis pressé. ( Il la prend par le bras et l’emmène à la porte.)

 

CHANTAL – Si je comprends bien tu me fous dehors ?

 

JULES - Prends-le comme tu veux, tu n’es pas à la rue, tu as ton guitariste.

 

CHANTAL - Mais il n’existe pas, il n’a jamais existé.

 

JULES - Alors trouves en un, ce n’est pas ce qui manque!

 

CHANTAL – Tu permets que je revienne quand tu seras moins énervé ?

 

JULES - Je suis énervé moi ? Je suis occupé, surbooké, dans un an peut-être !

 

CHANTAL – Je ne tiendrais pas jusque là ! ( Elle lui lance les bras autour du cou, et l’embrasse.) Je tiens à toi mon Jujus.

 

JULES - A moi ou aux euros ? ( Il lui enlève les bras.) Tu as changé de parfum ? Je préférais l’autre.

 

CHANTAL – Tu as remarqué cela ? C ‘est la preuve que tu m’aimes encore !

 

JULES - C’est la preuve que je ne suis pas enrhumé c’est tout. Adieu, Chantal.( Il ouvre la porte, sur le seuil il y a Alisette avec un plateau.)

 

MENTALOT ( elle n'a pas vu Chantal derrière la porte. ) - Mon cher Jules, je voulais te remercier pour ton beau soleil, les clients sont revenus.

 

JULES -   Alisette, il ne fallait pas, vous êtes trop gentille.

 

MENTALOT- Pas du tout, et tu m'es très sympathique et si serviable, c'est rare! (Elle a vu Chantal qui fait un peu grise mine. ) Oh! excusez-moi, je ne vous avais pas vu, vous êtes une voisine? ( son portable sonne. ) Allo, quoi? J'arrive tout de suite. Excusez-moi, une urgence en terrasse, il faut que je file, mais promets-moi qu'on va se voir tantôt. (Jules la raccompagne.)

 

JULES -   Mais bien sûr, chère Alisette, au revoir.

 

CHANTAL - J'ai tout compris.

 

JULES -   Compris quoi?

 

CHANTAL - Que pour moi c'est foutu, tu m'as vite oublié.

 

JULES -   Parce que maintenant c'est moi qui t'es oublié? C'est moi qui suis parti?

 

CHANTAL - Non, mais cette femme?

 

JULES -   C'est une voisine, mais crois ce que tu veux!

 

CHANTAL - Mais je t'aime! ( Elle lui ressaute au cou, mais Jules reste de marbre.)

Et toi tu ne m'aimes plus?

 

JULES -   Ce n'est pas le sujet, j'ai plein de chats à fouetter et tu n'en fais pas partie, alors, bonsoir madame. ( Il lui tient la porte ouverte, elle sort à regret, il ferme la porte et s’essuie le front.) Ouf ! Encore un peu et je cédais, je crois qu’elle a encore embelli, mais elle ne m’a pas demandé si je mangeais à ma faim, qui me faisait à manger, elle n’est pas mûre pour réintégrer le bercail. Bon, je vais arroser le champ de maïs de monsieur Froment, il n’a pas volé son nom. Je dois placer un nouvel algorithme, pour délimiter l’endroit exact, Courtepaille, deux kilomètres à l’est et pas à l’ouest, le blé serait mouillé et mon blé s’envolerait aussi. Voilà, intensité, 60%, pour une première pluie ce sera pas mal, attention top ! Et c’est parti. ( On sonne.)

J’espère que ce n’est pas l’huissier.( Il grimpe sur l’escabeau.) C’est le clerc de notaire, et il y a une voiture ouah ! Imposante, ce n’est pas l’huissier.( Il descend et va ouvrir.) Entrez monsieur Gaston je crois, j’espère que ce n’est pas la saisie qui vous amène ?

 

GASTON - La saisie de vos meubles, pas du tout, c’est plutôt une bonne nouvelle. Vous avez eu une enveloppe tout à l’heure ?

 

JULES - Oui, avec une grosse somme d ‘argent, mais je n’ai rien compris à l’affaire.

 

GASTON - C’est la raison de ma présence, je veux vous présenter l’émir Fayad Ben Soupçon qui a une proposition extraordinaire à vous faire.

 

JULES - Un émir ? Ils sont pleins aux as ces gens-là, vous éveillez ma curiosité. Faites-le entrer.( Gaston part chercher l’émir.) Mes affaires s’accélèrent, pourvu que la pluie soit au rendez-vous. J’espère qu’il ne veut pas que je fasse pleuvoir du pétrole.

 

Gaston revient avec l’émir. Jules s’affaire l’air de rien sur ses cadrans.

 

GASTON (cérémonieux ) - Monsieur le professeur, permettez-moi de vous présenter, Fayad Ben Soupçon, émir du Qatuor, qui vient vous faire une proposition commerciale.

 

Jules se retourne avec l’air du savant interrompu dans ses travaux.

 

JULES - J’espère que c’est important, c’est donc monsieur Fayad, l’humble savant que je suis vous salue, expliquez-moi le but de votre visite.

 

 

FAYAD ( il est habillé en djellaba et parle avec un accent d’Extrême- Orient.)- Monsieur le Professeur, vous êtes trop modeste, permettez-moi de saluer, l’ illustre savant qui commande la pluie et le beau temps, j’espère que vous avez reçu mon enveloppe pour faciliter mon rendez-vous avec vous, illustrissime expert mondial en climatologie.

 

JULES - Je n’ai que quelques connaissances que j’emploie au mieux pour dépanner mes clients.

 

FAYAD – Mon ami Gaston m’a parlé de vous et de votre modestie, mais si nous faisons affaire, je vous jure que vous serez riche et moi heureux. Mon pays le Qatuor est victime d’une terrible sécheresse, il ne pleut que deux jours par an, alors si vous pouvez faire pleuvoir chez moi, vous aurez droit à notre reconnaissance éternelle et cent mille euros.

 

JULES - Le Qatuor, c’est loin ? A l’autre bout du monde. Ma machine n’a pas d’effet à cette distance.

 

FAYAD – Mais je vous invite chez nous avec votre machine, vous serez le bienvenu et notre bienfaiteur. Il n’y a qu’une condition, cher Professeur, je dois me rendre compte par moi-même si votre machine fonctionne.

 

GASTON - Vous n’aurez aucun mal a prouver l’efficacité de votre invention n’est-ce pas monsieur le Professeur ?

 

JULES - Ce n’est pas une science exacte, mon invention a besoin d’être développée. ( Téléphone.) Excusez-moi, messieurs. Allô, à qui ais-je l’honneur ? Ah ! C’est vous monsieur Froment, déjà! Quelles sont les nouvelles, bonnes, formidable, vous êtes contents, oui, les mille euros, il n’y a pas d’urgence, deux mille, ah ! Si vous voulez. Attendez ne quittez pas ! ( Il pose la main sur le combiné.) Messieurs, j’ai ici un client à qui j’ai organisé une petite pluie tout à l'heure, il va vous dire sa satisfaction, je mets le haut-parleur. Monsieur Froment vous pouvez me redire, concernant la petite pluie. ( Voix nasillarde du hautparleur ):Bien sûr monsieur Médard, la pluie que je vous ai commandé est venu pile à l’heure, à l’endroit, sur mes cinquante hectares de maïs, pas une goutte sur mon blé situé à cinq cents mètres. C’est fabuleux, mon voisin qui des a champs situés un peu plus loin n’a rien reçu, il est furax, par contre la femme du maire, qui avait mis son linge à sécher a pris une sacré douche. Elle en est quitte à…..( interruption de Médard. ) Merci, merci monsieur Froment, merci, je vous dis à bientôt.( Il raccroche.)

 

GASTON - J’ai toujours cru en votre invention. Monsieur Fayad, voilà la preuve que monsieur Médard est un génie de la météorologie.

 

FAYAD – Je suis plus qu’impressionné, il va sans dire que si je peux voir les résultats de mes yeux, je double mon offre.

 

JULES - Monsieur Froment habite Courtepaille le village d’à côté à deux kilomètres, la ferme du Coq en pâte, vous ne pouvez pas la rater, il vous montrera lui-même.

 

FAYAD – Mon ami Gaston va me montrer le chemin s’il veut bien, nous reviendrons plus tard, réfléchissez à ma proposition monsieur Froment.

 

JULES - Je n’y manquerais pas monsieur Fayad, mais je ne vous fais aucune promesse. A tout à l’heure.( Ils sortent.) Cent mille, cent mille euros, peut-être le double, je rêve, mais pour cela il faut s’expatrier, le Qatuor, c’est loin, le mieux c’est de leur construire une machine à emporter là-bas. Je vais commencer par payer cette boite Larénor, et commander de quoi fabriquer une autre machine. Je sens que mes soucis financiers s’éloignent à grands pas. (On sonne c’est madame Cresson avec une salade, Jules ouvre.) Ah ! Madame Cresson, et avec une salade! Ne me dites qu’elles ont poussé aussi vite, ce serait un miracle.

Vous êtes à la recherche d'une pièce de théâtre pour votre troupe et vous  voulez connaître la suite ?  Un mail par la rubrique contact et je vous l’envoie avec plaisir.

René NOMMER.